Il ne faut jamais vouloir copier les grands interprètes même si on les admire. Personne n’a l’ADN vocal ni émotionnel d’une Elisabeth Schwarzkopf ou d’un Fischer–Dieskau et chacun doit chercher et découvrir sa vérité personnelle et unique !
Ruben Lifschitz
Extrait d'une publication de la Fondation Royaumont
2002
" S’il y a beaucoup de bons chanteurs mais très peu de vrais récitalistes, c’est que le récital est le domaine le plus exigeant du chant nulle part ailleurs le chanteur n’aura autant de texte à mémoriser par cœur donc par amour ! Les compositeurs tombent sous le charme d’un poème avant de le mettre en musique c’est donc : «prima le parole – dopo la musica» et ces paroles il faut leur donner vie, ce sont elles qui font chanter, le récital ne devrait jamais être un refuge pour cacher un manque de vocalité ou pour prolonger une fin de carrière, car il faut un grand pouvoir vocal et intellectuel pour atteindre les cœurs des auditeurs jusqu’au fond d’une salle de concert. Le récital est le confessionnal de la musique vocale : il faut y être vrai : ÊTRE ! L’opéra est le monde du PARAÎTRE.
Le récital c’est l’entrée dans les ordres ! Faire vœu de pauvreté ! Renoncer aux biens de ce monde... Adieu costumes, accessoires, maquillage, mimique, gestes, effets et lumières ! Seul avec son frère pianiste le chanteur doit servir de truchement entre les compositeurs, les poètes et le public. L’interprète devient un pont suspendu qui relie le passé au présent, les morts aux vivants. L’auditeur se retrouve alors soudain en fort bonne compagnie : Fauré, Debussy, Verlaine et Baudelaire, Mallarmé, Ravel, Louise de Vilmorin et Poulenc, Goethe et Schubert, Wolf et Mörike, Heine et Schumann sont tous là ! et l’interprète n’a donc plus aucune raison d’en rajouter dans l’émotion ni dans l’expression, il n’a rien à prouver, rien à montrer, il lui suffit d’être au service de ces messieurs (pardon Louise !)
C’est ce qu’Alfred Cortot voulait faire comprendre à ses étudiants quand il nous disait «laissez la musique tranquille !» Et frère pianiste alors ? J’aurais du en parler en premier ! Car tous ces grands compositeurs étaient pianistes ; peu d’entre eux étaient chanteurs et c’est dans l’accompagnement que se trouvent presque toujours les clefs qui dévoileront les secrets de l’œuvre. C’est par quelques mesures d’introduction au piano que tout le climat, tout l’éclairage du Lied ou de la mélodie est situé. Le pianiste est l’éclairagiste du chanteur, il installe les lumières. En plus il doit apprendre à respirer avec la voix qu’il accompagne, sans respirer on est mort, mais les pianistes ne respirent pas naturellement.
Puis le pianiste lui-aussi doit aimer le poème, comprendre chaque mot qui est serti par l’accompagnement il doit impérieusement connaître les langues et il lui faut une grande mobilité émotive. Au cours d’un récital il faut savoir créer et vivre vingt états d’âme différents.
Avec mes étudiants voilà l’idéal que nous recherchons et Royaumont nous offre le privilège de pouvoir y travailler dans son cadre unique et bien faisant. L’année passée cela faisait vingt ans que la Fondation Royaumont m’accordait fidèlement sa confiance, me permettant avec mes étudiants chanteurs et pianistes d’approfondir notre approche du Lied et de la mélodie. Cette fidélité s’est trouvée heureusement couronnée par le concours Nadia et Lili Boulanger fin octobre 2007 dont tous les prix meilleurs duos, meilleur pianiste, meilleur chanteur, ont été attribués aux artistes que j’avais eu le bonheur de conseiller à Royaumont. „
Ruben Lifschitz
Ils ont tous suivi l'enseignement de Ruben Lifschitz à Royaumont, témoignages...
Natalie Dessay ‟ Ruben Lifschitz m’a fait découvrir, étudier et aimer ce qui constitue à ce jour l’essentiel de mon répertoire mélodique. Au cours de notre collaboration j’ai pu non seulement apprécier ses qualités de musicien mais encore celles non moins remarquables de pédagogue toujours soucieux de guider l’artiste dans son travail tout en respectant et par là-même révélant son individualité. J’estime que tout jeune chanteur devrait avoir la chance de profiter de son expérience et de son enseignement dont je n’ai pas trouvé d’équivalent au cours de mes études et depuis le début de ma carrière. „
Michaël Guido ‟ C’est très certainement ma rencontre avec Ruben qui a décidé de ma vie musicale, tout d’abord au piano (ses précieux conseils – héritages directs de ses Maîtres : Cortot, Kempff, Magaloff... – me permirent d’entrer au Conservatoire), puis naturellement pour le Lied et la mélodie : son immense culture littéraire, son don pour les langues (il en parle six couramment !), son intelligence du texte, sa sensibilité musicale, et bien entendu sa personnalité unique m’ont ouvert des horizons nouveaux et ont guidé mon développement personnel, m’apportant ainsi quelques succès pour lesquels je ne saurai le remercier assez ! À Royaumont, où le temps est un luxe qui nous est offert, peut se concrétiser le travail en profondeur que requiert l’étude de ce répertoire, et qu’enseigne Ruben: le temps de s’approprier un poème, le temps de trouver la pulsation juste, les couleurs expressives, la sobriété du discours;le temps de créer avec son partenaire l’équilibre, l’écoute et l’entente qui feront lors du concert naître l’émotion du public. „
Karolos Zouganelis “ On dirait que parmi toutes les langues, que Ruben parle à la perfection, la musique est sa langue maternelle. Grand artiste et grand pédagogue il est un des rares à nous faire aller tout droit au cœur d’un texte musical en trouvant toujours des images justes ainsi que la couleur qui convient et qui à la fois est propre à chaque interprète. Ses propositions artistiques sont souvent des révélations d’une telle justesse et beauté qu’il paraît impossible d’envisager les choses autrement, sans passer à côté de l’essentiel. Ses cours restent inspirants pendant de longs mois et cela arrive que des années plus tard le simple fait de relire une de ses phrases écrites sur un coin de partition réveille tout un monde de sons, de couleurs et de merveilleux souvenirs. „
Christian Immler “ Bei Ruben ging und geht es immer darum, am Ende der Essenz eines Liedes auf die Spur zu kommen. Was mich bei einem solchen gemeinsamen Wachstumsprozess immer beeindruckt hat, ist, dass man sich mit Ruben nie vom Noten-Text entfernen muss, um einem Lied nahe zu kommen. Ruben weiss, wie Noten, Text und Vortragsanweisungen von Komponist zu Komponist unterschiedlich gedeutet werden müssen. Man verstrickt sich nicht im theoretischen Hinterfragen, sondern macht sich auf die Suche! Diese Mentalität des unkosmetischen Vollblutmusikers überträgt sich, und auf diese Weise kann man gleichzeiti güber sich selbst hinauswachsen. „
Silvia Fraser “ Ruben’s talent as a teacher lies in delving fearlessly into his students’ musical depths and awakening their artistic instincts to the inspirations that will ultimately sustain them.He creates artists. „
Stéphane Degout “ C’est parmi les grands metteurs en scène avec qui j’ai travaillé que je classerais Ruben tant sa faculté à développer chez ses artistes un imaginaire fort est grande et sa capacité à guider est naturelle. Il m’a appris à lire, tout simplement. Pas la partition d’une mélodie, mais un texte, ce qu’il raconte, ce qu’il va toucher au fond de moi et chez le public. Il m’a aussi appris l’humilité, à m’effacer pour laisser le texte prendre toute sa grandeur. Ces quelque douze années passées à le suivre ont bâti le socle de mon travail de recherche, au récital comme à l’opéra. „
Karine Deshayes “ Ruben m’a fait découvrir et apprécier un répertoire que je suis heureuse de chanter. Je pense notamment à la chanson d’Eve de Fauré, qui restera un des meilleurs souvenirs de travail pour moi. Il nous a appris à défendre un texte, à aller plus loin techniquement par l’interprétation et il a su nous donner confiance pour défendre l’art si difficile du récital. „
Laurent Alvaro “ Si Ruben n’évoque jamais la technique du chant, ses conseils vont toujours judicieusement dans le sens d’une vocalité souple, naturelle, simple, homogène et rayonnante. De l’interprétation, il inverse la problématique, enjambe malicieusement le carcan de la partition, fait des œuvres et de leurs auteurs ses amis intimes, il les tutoie et nous les offre dans leurs plus touchantes vérités. La rigueur et l’honnêteté qu’il enseigne côtoient l’audace, l’humour ou la fantaisie que l’académisme étouffe. Ainsi pianiste et chanteur ne sont plus ni techniciens ni élèves mais interprètes d’imaginaires qu’ils se croient parfois inaccessibles. Orfèvre et alchimiste, Ruben patiemment révèle chaque artiste et chaque œuvre comme autant de joyaux sertis dans l’élégance de l’évidence. „
Source :
© Royaumont Abbaye & Fondation - Newsletter 2002
http://www.royaumont.com/
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